En théorie, une balle de
plomb et une plume devraient tomber exactement à la même
vitesse si nous les lâchons ensemble. Dans la pratique il
n'en n'est rien, car le frottement contre l'air ambiant aura pour
effet de freiner davantage l'objet dont la densité est la
plus faible. Et dans notre exemple, la balle de plomb sera au sol
depuis bien longtemps lorsque la plume l'atteindra en voltigeant…
Dans le vide il en va différemment, l'atmosphère n'est
plus là pour produire son effet dérangeant et les
deux objets arriveront simultanément au sol. L'expérience
a d'ailleurs été démontrée sur la Lune
par les astronautes d'Apollo 17, avec un marteau et une plume (d'aigle).
Obtenir un état d'apesanteur en chute libre
n'est donc pas aisé sur Terre. Lâcher un objet depuis
un avion ou une nacelle d'aérostat ne sert pas à grand-chose,
sinon à fortement réduire l'effet de la gravitation,
mais la friction atmosphérique contrariera la chute et empêchera
l'ensemble d'atteindre la vitesse d'accélération constante
de 1G. Même un parachutiste en chute libre cesse d'accélérer
lorsque sa vitesse atteint environ 250 km/heure.
Un moyen existe cependant : la tour de chute libre.
La plus haute est installée au Japon, et mesure 500 mètres.
Une "cabine" est lâchée en son sommet, embarquant
diverses expériences, et un système d'accélération
compense le freinage qu'elle peut subir durant sa chute. Une sorte
d'ascenseur à l'envers… Grâce à ce dispositif,
une valeur de 10^-5G peut être obtenue durant environ 10 secondes.
Le vol parabolique est un autre moyen. Un avion
suivant une trajectoire courbe peut arriver à recréer
un état d'apesanteur de 10^-3G durant une période
d'environ 1 minute. Outre une durée d'expérimentation
plus importante, on dispose aussi d'un volume bien plus vaste et
de la possibilité d'emporter plusieurs passagers, ce qui
est particulièrement précieux lors de l'entraînement
d'astronautes.
On pourrait aussi citer certains tirs de roquettes,
comme le Texus, pouvant recréer un effet de non pesanteur
pour des périodes allant jusqu'à 10 minutes, mais
l'accélération subie au départ en interdit
l'usage dans bien des cas. Les satellites artificiels récupérables,
ainsi que la navette spatiale, offrent un état d'apesanteur
pour des durées allant jusqu'à une vingtaine de jours
dans le cas du Shuttle, mais pour un nombre de vols très
limité et surtout de coût prohibitif.
L'état de micro-gravité associé
à la Station Spatiale Internationale se révèlera
donc extrêmement précieux, notamment si l'on considère
sa durée, égale à la vie de la station elle-même
: 15 à 20 ans de façon continue.
Déjà, les
recherches menées avec le laboratoire européen Spacelab
embarqué à bord de la navette ont offert, durant des
périodes de une à deux semaines, un environnement
approprié aux expériences à mener en microgravité
comme la solidification, la croissance des cristaux, l'étude
des phénomènes de fluides et les recherches biotechnologiques.
Les résultats obtenus ont permis une meilleure compréhension
des processus et des phénomènes fondamentaux mais
ont aussi fortement contribué à l'optimisation de
processus industriels sur Terre dans des applications telles que
la coulée, la combustion ou les écoulements multi-phases
ainsi qu'à l'amélioration de soins comme le traitement
de l'ostéoporose et le développement de nouveaux produits
pharmaceutiques.
La Station Spatiale Internationale sera le lieu
idéal pour poursuivre et approfondir ces travaux sur une
base beaucoup plus continue et surtout plus régulière
que les missions Spacelab, relativement courtes et peu fréquentes.
Les expériences entreprises pourront à volonté
être répétées soit dans des conditions
identiques, soit en modifiant certains paramètres, ce qui
n'était pas possible lorsque la durée de la mission
était limitée.
La microgravité
au service de la recherche commerciale
Dans son environnement très particulier, la Station Spatiale
Internationale pourra être considérée comme
un laboratoire scientifique de pointe, et le banc d'essai par excellence
des technologies futures. Elle offrira une installation de recherche
avancée dans le domaine de la médecine, de la biologie
et de la science des matériaux.
Délivrés de la pesanteur, les ingénieurs
et chercheurs du monde entier pourront obtenir et étudier
les matériaux dans leur forme la plus pure, grâce notamment
à des processus nouveaux, dont beaucoup restent encore à
découvrir, impossibles à obtenir sur Terre à
cause de la pesanteur.
Parmi ces matériaux, on peut considérer
les polymères, aujourd'hui très répandus et
présents dans notre vie de tous les jours puisqu'ils entrent
dans la composition des peintures, de nombreuses matières
plastiques, des lentilles de contact, mais aussi toute la gamme
des semi-conducteurs dont l'informatique fait de plus en plus usage,
des supra-conducteurs à haute température qui nous
permettront dans un avenir proche de transmettre l'énergie
sans déperdition, ainsi que de cristaux nouveaux, notamment
à usage chimique ou médical, entre autres.
Dans l'industrie automobile ou aéronautique,
de nouveaux matériaux, insoupçonnés voici seulement
dix ans, permettent de réaliser des économies de poids
substantielles aboutissant sur une plus grande efficacité
et un accroissement d'autonomie tout en réduisant la consommation
et la pollution. Or, la plupart de ces composants sont actuellement
réalisés par usinage, solution coûteuse et génératrice
de déchets dont il serait possible de se passer si un procédé
de fabrication par injection directe et moulage de précision
était mis au point. A bord de la Station Spatiale Internationale,
l'étude en microgravité des alliages en fusion fournira
des informations sur certains processus encore mal connus se produisant
au cours de la solidification.
La recherche en microgravité sera organisée
de façon à déboucher sur des améliorations
de processus industriels existants. Par le passé, de telles
recherches, conduites pour des buts purement scientifiques, ont
déjà abouti à des applications concrètes
utilisées dans l'industrie pour apporter des solutions à
des problèmes pratiques. Il s'agit là de l'essence
même de la recherche fondamentale.
La microgravité au service
de la médecine
L'état d'apesanteur à bord de la Station Spatiale
Internationale permettra l'observation et l'étude du fonctionnement
du corps humain sous un angle complètement différent,
libéré de la plupart des contraintes liées
à la gravité. Des progrès considérables
sont attendus dans la connaissance du fonctionnement du cœur,
des poumons et des reins, sur les maladies cardio-vasculaires, la
perte du calcium osseux (ostéoporose) et les troubles hormonaux.
Cette vision de la machine humaine sous un angle nouveau pourrait
aboutir à de nouveaux moyens de traitement et de prévention
des maladies.
Des expériences récemment menées
à bord de la navette spatiale américaine, ainsi qu'à
bord de la station Mir, ont révélé que l'apesanteur
constituait aussi un milieu irremplaçable pour l'étude
de la structure et des fonctions des protéines, ce qui pourra
déboucher sur l'amélioration du développement
de médicaments et de la recherche dans le traitement de nombreuses
pathologies.
Depuis longtemps déjà, les systèmes
mis au point pour le suivi médical des astronautes ont trouvé,
après adaptation, diverses applications dans les hôpitaux
sur Terre.
La recherche fondamentale en microgravité
La recherche fondamentale occupe les devants de
la Science depuis que l'Homme s'est mis à penser. Peu de
problèmes trouvent une solution sans qu'un principe issu
de la recherche fondamentale, à n'importe quel niveau, soit
évoqué. L'Homme a découvert le feu avant de
l'utiliser pour cuire ses aliments, et au début, probablement
le craignait-il sans en trouver d'applications pratiques. L'Histoire
est jalonnée de découvertes qui n'ont trouvé
un usage que bien plus tard. Aujourd'hui, ces expérimentations,
riches en applications potentielles qui, quelquefois, se révèlent
très vite, sont organisées selon des programmes de
recherches organisés précisément. C'est la
base de la recherche fondamentale telle qu'elle est maintenant conçue.
Cette recherche fondamentale porte essentiellement
sur deux grands axes : la physique et la biologie. La physique débouche
sur des voies telles que la physique atomique, la physique relativiste,
la science des matériaux, la science de la combustion ou
la physique des fluides, tandis que la biologie s'ouvrira sur les
biotechnologies fondamentales, la croissance des cellules. Cela
n'étant absolument pas exhaustif.
La physique
Jusqu'à présent, notre compréhension des lois
physiques était limitée par les conditions d'expérimentation
imposées par notre environnement terrestre et la force de
gravitation qu'il induit inévitablement. Mais de nouvelles
expériences conduites en microgravité font évoluer
nos connaissances, non seulement par le fait de l'absence de pesanteur,
mais aussi par l'absence d'éléments perturbateurs
omniprésents sur Terre tels les vibrations sismiques.
Tout qui a un jour tenté de réaliser un hologramme
en laboratoire au moyen d'un laser He-Ne de faible ou moyenne puissance
est familiarisé avec ce problème. Même en utilisant
un banc optique très stable comme support, le moindre mouvement,
le moindre pas effectué dans l'enceinte de la pièce
durant les quelques secondes d'exposition de la plaque photographique
aux faisceaux croisés du laser peut irrémédiablement
altérer la formation des franges d'interférence. Parfois,
un simple véhicule passant dans la rue, à plusieurs
dizaines de mètres de là, peut produire le même
effet néfaste. Par vibrations sismiques, il ne faut donc
pas considérer seulement les secousses telluriques proprement
dites, mais aussi, et surtout, la multitude de vibrations transmises
en permanence au sol par l'industrie, la circulation, ou le fonctionnement
de l'importe quelle machine. Tout mouvement, même lointain,
peut avoir un effet désastreux sur les manipulations en laboratoire,
et réduire à néant les résultats d'une
coûteuse expérience.
Dans l'espace, de tels problèmes ne se posent
pas. De plus, l'espace étant naturellement "froid"
par absence de convection, il est plus aisé d'y atteindre
de très basses températures que sur Terre. Cela est
impératif dans certaines expérimentations exigeant
de s'approcher de "points critiques", comme certaines
conditions particulières où un corps se trouve à
la fois à l'état liquide et à l'état
solide, dans le cadre de la recherche en supraconductivité
(état ou un solide n'oppose plus aucune résistance
au passage d'un courant électrique, donc ne provoque plus
aucune déperdition) ou de suprafluidité (état
où un liquide ne présente plus aucune résistance
à l'écoulement).
La science des matériaux
L'industrie moderne fait largement appel à de nouveaux matériaux,
et pour des besoins très particuliers, cherche à en
produire dont les caractéristiques conviennent le mieux aux
usages pour lesquels ils sont destinés.
Parmi les nouvelles matières intéressant
le plus la technologie aujourd'hui, on peut citer :
Les Polymères, c'est-à-dire
des molécules organiques, bases de toutes les matières
plastiques, qui apparaissent aussi naturellement dans la laine ou
le bois, et sont synthétisées en vue de produire le
nylon et toutes les fibres synthétiques modernes, les polystyrènes.
Les Verres et Céramiques,
formés à partir de longs arrangements d'atomes non
métalliques offrant la propriété de résister
aux très hautes et très basses températures.
Les métaux et alliages métalliques,
largement utilisés dans l'industrie.
Les semi-conducteurs, de plus
en plus utilisés dans de nombreux domaines, électronique,
informatique, mais aussi dans les capteurs CCD, lasers, etc.
Il n'existe pas, actuellement, d'exemple de nouveau
matériau ayant été produit exclusivement dans
l'espace, les temps d'expérimentation ont jusqu'à
présent été trop courts pour pouvoir entreprendre
une telle recherche. Cependant, plusieurs expériences menées
tant à bord de la station Mir (four Kristal notamment) que
du Spacelab ont permis de constater que l'expérimentation
dans ce domaine pouvait être optimisée dans le milieu
spatial de manière à obtenir des résultats
bien plus sûrs et surtout moins aléatoires qu'en conditionnement
terrestre.
En effet, on constate qu'un matériau en
cours de solidification sur Terre a tendance à former des
strates induites par les courants de convection qui se créent
au sein de la matière en cours de refroidissement. En apesanteur
par contre, ces courants de convection sont absents et la matière
solide obtenue présente une régularité et une
homogénéité impossibles à réaliser
au sol.
Dans les cas de très petites structures,
ce phénomène peut se révéler dramatique,
surtout lorsqu'il s'agit de réaliser, notamment, des semi-conducteurs
à l'échelle nanométrique. La microgravité
d'une station spatiale devient dès lors le lieu incontournable
de la recherche fondamentale dans le domaine des matériaux
de pointe.
Certains matériaux ou alliages ultra-purs
voient aussi leur élaboration facilitée en apesanteur,
leur solidification sans aucun contact avec les parois d'un récipient
supprimant tout risque de contamination par des impuretés.
La science de la
combustion et la pollution
85% de la quantité d'énergie utilisée aujourd'hui
dans le monde repose sur le principe de la combustion. Mais cette
forme d'énergie a un prix, celui de la pollution qu'elle
induit immanquablement en rejetant dans l'atmosphère de nombreux
résidus. Un moyen très simple de réduire considérablement
cette pollution serait d'augmenter le rendement de la combustion.
Mais ce mécanisme est encore très mal connu.
Vouloir obtenir une combustion complète
sur Terre est aléatoire, et ce en raison de la gravité
qui induit un fort courant de convection entre la source de chaleur
et les gaz incandescents qu'elle produit: c'est la flamme que l'on
observe au-dessus de la mèche allumée d'une bougie.
La couleur jaune brillant de cette flamme indique d'ailleurs que
la combustion est très incomplète et émet en
abondance des résidus imbrûlés. En apesanteur,
cette même flamme se réduit à une petite zone
bleutée faiblement visible, sans convection. Son manque d'intensité
indique que la combustion est complète et les rejets pratiquement
nuls. En corollaire, le rendement énergétique est
bien supérieur.
Arriver à comprendre les mécanismes
d'une combustion complète et arriver à la reproduire
sur Terre, éventuellement par d'autres moyens que l'absence
de pesanteur, permettrait de résoudre un des problèmes
les plus épineux qui se posent aujourd'hui à l'humanité:
celui de la pollution. Plusieurs programmes de recherches sur la
combustion sont d'ores et déjà programmés à
bord de la Station Spatiale Internationale, tant dans les modules
américains qu'européens.
La biotechnologie
La biotechnologie repose sur la biologie et est à la base
de toute recherche dans ce domaine. Elle réclame de nombreuses
manipulations de tissus, d'organismes vivants, mais aussi de molécules
complexes.
Sur Terre, ces manipulations sont souvent compliquées par
le simple fait que la force de gravitation déplace les cellules
en cours de multiplication vers le fond des boîtes de culture,
contrariant leur agencement en trois dimensions. En micropesanteur
par contre, les cellules restent en suspension et se répartissent
selon une organisation totalement naturelle, ce qui permet de mieux
comprendre les mécanismes de leur genèse et de leur
croissance. De plus, il semblerait aussi que des tissus cancéreux
se multiplient beaucoup plus lentement en apesanteur qu'au sol,
mais la faible durée des expériences entreprises jusqu'à
présent n'a pas permis de le confirmer.
On le voit, le rôle de la Station Spatiale Internationale
est prépondérant aussi dans ce domaine, qui n'est
qu'un des nombreux exemples dans le vaste territoire de la Science
du Vivant.
A bord du module européen Columbus, l'instrument Biolab,
notamment, sera consacré aux expériences sur les micro-organismes,
les cellules animales, les cultures de tissus, les petits végétaux
et les petits invertébrés.
L'aspect humain
Un aspect non moins important de la Station Spatiale Internationale
sera apporté par sa définition même: faire vivre
et collaborer une population composée d'individus d'une quinzaine
de pays, de cultures et de langues très différentes.
La conduite des opérations à bord de cet espace restreint
impose une collaboration, voire une complicité de tous les
instants, souvent de la part d'hommes et de femmes appartenant à
des pays qui souvent, il n'y a pas très longtemps se considéraient
comme des ennemis. N'en doutons pas, la population de notre planète
ne pourra tirer que des avantages de l'observation de leur comportement.
Une des conséquences des programmes de recherches
mis en commun entre les équipes de différentes nationalités
sera aussi la mise à niveau non seulement des connaissances,
mais aussi des méthodes d'investigation et des moyens d'exploration
des domaines les plus avancés en recherche scientifique.
Mais la retombée la plus importante sur
le plan humain pourrait simplement être l'existence même
de cette station spatiale, devenue le symbole le plus évident
d'une humanité en quête de progrès, passant
au-dessus de nos têtes plusieurs fois par jour, se jouant
de cette invention artificielle que sont nos frontières et
animée par un équipage multiculturel et multiracial
en parfaite harmonie.
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